Dans le cadre d’une histoire que nous sommes en train d’écrire à propos de Jean André Baud et Jacques Barbeyer Lamorte, tous deux victimes de la répression qui suivit une émeute le 14 juillet 1793 à Dieulefit, appelé quelques temps plus tard Montjabron, émeute à la suite de laquelle ils furent déclarés coupables, Baud à être guillotiné et Barbeyer à l’exil, nous avons été confronté au curé de cette paroisse Simon André Vernet dit Lafabrège.
Il fut également arrêté, non parce qu’il aurait participé à l’émeute mais parce qu’il avait prêté serment en y ajoutant des réserves et des objections.
Serments de fidélité
À Paris, le 26 novembre 1790, Voidel, un député, mis en garde ses confrères qu’une ligue était en train de se former contre la Constitution Civile. Il voulut qu’un serment soit imposé au clergé. Le décret fut adopté et le roi le signa le 26 décembre 1790.
Le serment était le suivant :
« Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse (ou du diocèse) qui m’est confiée, d’être fidèle à la nation, à la loi, au roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le Roi. »
Le 7 janvier, on commença à prêter serment, dans les provinces. Presque tous les évêques à l’exception de 4 et la moitié des prêtres refusèrent de prêter ce serment, pourtant, ces prêtres réfractaires risquaient l’exil, l’emprisonnement ou la guillotine.
Comme la loi le prescrivait, le 20 février 1791, Vernet dit Lafabrège, Curé de Dieulefit, prêta serment à la constitution civile pendant la messe. Pendant cette cérémonie, il utilisa la formule usitée mais il y ajouta quelques commentaires et restrictions qui rendirent son serment nul.
Voici ce qu’avait ajouté le curé de Dieulefit et qu’il retranscrivit lui-même en mai dans une lettre envoyée au directoire du district de Montélimard :
déclaration Vernet Lafabrege
Cependant en reconnoissant l’obligation etroite que nous avons de nous soumetre au gouvernement dans l’ordre civil et politique et de rendre a Caesar ce qui appartient a Caesar, nous ne pouvons nous dispenser, et vous nous permetrez, messieurs, de rendre premierement a Dieu ce qui est a Dieu. En consequence nous declarons que nous nous sousmettons a Sa loy dans tout ce qu’elle ordonne et que nous desaprouvons tout ce quelle defend.
Le dépouillement des archives permettent de retrouver jusqu’à trois, en effet, trois autres déclarations de Vernet Lafabrège dans lesquelles il prête le serment à sa manière pensant peut-être que sa première version n’était pas suffisamment claire. L’histoire qui suit montre en tout cas que, malgré tous ses efforts, quelques-uns de ses paroissiens jugea son attitude équivoque ou pour le moins ambigüe et ne sut qu’en penser.
Il fut arrêté à Villeneuve de Berg et certains disent qu’il fut condamné à mort comme réfractaire le 24 ventôse an II par le tribunal criminel du département de la Drôme.
Exécution d’un prêtre réfractaire
Mais cher lecteur, il est toujours utile de se demander si ce qui est écrit reflète bien toute la vérité.
Pour le savoir il faut quelquefois creuser et chercher. Vous trouverez alors la prose révélatrice suivante :
Ce texte provient d’un ouvrage portant le nom : « Les petits Bollandistes ». Et voici, pour bien vous faire sentir la teneur et l’importance de ce document de 1872, le titre complet : vies des saints de l’Ancien et du Nouveau Testament, des martyrs, des pères, des auteurs sacrés et ecclésiastiques …, notices sur les congrégations et les ordres religieux, histoire des reliques, des pèlerinages, des dévotions populaires… (15e tome, rédigé d’après le Père Giry). On y apprend donc que le pauvre Simon André Vernet de la Fabrège, Curé d’une paroisse du diocèse de Vabres, probablement de Montjaux (…) a été condamné à mort à Valence car il était un prêtre réfractaire…
Dans un autre document intitulé « Les Martyrs de la foi pendant la Révolution française ou martyrologie des Pontifes, prêtres, religieux, religieuses laïcs de l’un et l’autre sexe qui périrent alors pour la foi » de 1821 par M. L’Abbé Aimé Guillon (docteur en théologie depuis 1780, prédicateur jusqu’à la fin de 1790, etc.), on lit :
Ici également ce pauvre Vernet fut condamné à mort. On apprend même qu’il fut guillotiné le lendemain. Pourtant, je vous le disais déjà, il est toujours utile de se demander : « Est-ce que ce qui est écrit reflète bien toute la vérité ? »
Examinons de plus près le verdict de Valence du 24 ventôse de l’an II (14 mars 1794). Je vous fais grâce de l’accompagnement habituel des articles de loi et des décrets pour en arriver immédiatement au cœur de l’affaire, tout d’abord les renseignements donnés sur l’identité.
Ils sont très clairs. Il est écrit : « Simon André Vernet dit Lafabrège est habitant de Villeneuve de Berg ci devant curé de Montjabron ci devant Dieulefit, âgé de cinquante quatre ans (…) ».
Aucune référence à Montjaux dans l’Aveyron, L’Abbé Aimé Guillon rechercha désespérément le fameux Montjabron et ne trouva que Montjaux, seules les six premières lettres étaient identiques.
Le verdict fut le suivant :
« Ordonne (…) que le dit Vernet sera traduit dans la maison (…) situé en cette commune qui est destiné à la réclusion des Eclésiastiques réfractaires. »
« Déclare que le Bail dudit Vernet sera acquis et confisqué au profit de la République (…)»
Comment est-ce possible ? Les deux documents de sources catholiques à l’apparence si sérieuse affirmaient que Vernet fut condamné et l’un d’eux même disait qu’il fut guillotiné dans les 24 heures.
Ces deux ouvrages prendraient-ils quelques libertés avec les faits historiques pour étoffer leur martyrologie ? Cela laisse rêveur quant au reste du contenu de ce genre de documents.
Simon André Vernet dit Lafabrège n’a pas été condamné à mort comme le fut le pauvre et naïf (Jean) André Baud.
Vernet fut enfermé, très certainement dans la maison d’arrêt de Sainte-Marie, à Valence jusqu’à ce que la paix soit revenue. Cette maison servait de prison aux nombreux religieux réfractaires.
Il ne fait pas de doute, rétorquerez-vous, que bien des prêtres furent décapités dans ces heures sombres. Vous auriez tout à fait raison si ce n’est que la Drôme fut assez clémente dans ce domaine.
Mais vous devez être impatient d’apprendre de quelle manière Vernet Lafabrège termina sa vie. Cela ne pouvait être qu’une fin heureuse puisqu’il fut quasiment sanctifié après sa « mort », vous venez de le constater dans les documents ci-dessus. Cet hommage posthume ne lui fut certainement d’aucune aide lorsqu’il mourut dans son lit à Villeneuve de Berg le 13 avril 1811 à « 3 heures du soir ».
Acte de décès de l’ecclésiastique Vernet